C’est un fait ! Nous en avions déjà parlé dans un précédent article : il est crucial de prendre en compte les valeurs des salariés au travail; en faisant attention à l’adéquation entre leurs valeurs et celles de leur organisation ou de leur équipe 👌.

C’est en tout cas ce que bon nombre de managers et de scientifiques s’accordent à dire, car cette adéquation a un impact significatif sur l’engagement des salariés, qui influence lui-même presque tous les facteurs bénéfiques à l’entreprise : la satisfaction au travail, la performance, la baisse du turnover, et la rétention des talents*.

Maintenant que nous savons comment et pourquoi la correspondance des valeurs influence l’engagement des employés, nous comprenons qu’il est primordial de prendre le problème à la source, en tenant compte des valeurs de l’individu dès son recrutement, pour assurer cette adéquation (it’s a match 💥).

La question qui se pose alors très logiquement est la suivante : comment en tenir compte, lorsque l’équipe est déjà constituée ? Si cela n’a pas été fait lors du recrutement, comment prendre en considération cette adéquation entre les valeurs des employés et de l’entreprise ou de l’équipe ? Existe-t-il des moyens d’améliorer la correspondance entre leurs valeurs et celles de l’entreprise a posteriori 🙏?

Plusieurs pistes s’offrent à une entreprise, et il convient de démêler ce qu’il est possible de faire, de ce qu’il ne faut pas faire…

1. Rappel de ce que sont les valeurs (on pose les bases 🙌)


Avant toute chose, il convient de bien comprendre ce qu’est une valeur. Pour rappel, selon Schwartz, scientifique de référence sur le sujet, les valeurs sont (1) des croyances (2) à propos  de résultats ou de comportements désirables, (3) qui transcendent les situations spécifiques, (4) qui dirigent la sélection ainsi que l’évaluation des comportements et des évènements, (5) tout en étant ordonnées par ordre d’importance (Schwartz & Bilsky, 1987 ; Schwartz, 1992). En d’autres termes, les valeurs sont des convictions qui vont guider les comportements et les attitudes d’un individu, mais également les environnements où il souhaite évoluer. Les valeurs sont un guide dans les actions de l’individu.

Un des grands résultats des dix dernières années concernant les valeurs renvoie à leur stabilité. En effet, de nombreuses études longitudinales** ont montré que les valeurs sont stables dans le temps à partir de l’entrée dans la vie active, comme ont pu le montrer Jin & Rounds (2012) dans une méta-analyse***. Morend (2018), lors d’une étude qui a suivi des personnes actives pendant 9 ans (et c’est long 9 ans... 🤓), a notamment montré que les valeurs au travail des individus ne changent que très peu. Les valeurs sont donc à considérer comme étant des dimensions stables, qui peuvent figurer au rang “des caractéristiques dispositionnelles peu soumises aux fluctuations de l’environnement”, au même titre que les traits de personnalité.

2. Alors, comment peut-on prendre en compte les valeurs des salariés a posteriori ?


Face à ce constat, on peut tirer deux conclusions.

La première, c’est qu’il va être difficile pour une organisation de faire adhérer un employé à ses valeurs, du moins sur une courte échelle de temps. Pire, cela risque de créer de la “dissonance cognitive” (Festinger & al., 1956). Sous la pression des normes de l’entreprise, l’individu affichera en apparence des comportements et attitudes incarnant les valeurs voulues par l’entreprise, mais s’il ne les partage pas, cette contradiction va créer une tension interne dans l’esprit de la personne. Cette incarnation des valeurs se fera alors au détriment de la santé mentale de l’employé, ce qui à terme peut pousser l’individu à quitter l’entreprise ou à s’engager dans des comportements délétères à celle-ci 🤯. Bref, “mauvais bail”, comme on dit aujourd’hui 🙅🏻‍♀️

La seconde conclusion, est qu’il est bien plus efficace et sain, de s’intéresser à la correspondance perçue du côté de la personne, que de la “forcer” à adhérer aux valeurs de l’entreprise. On va s’intéresser plus spécifiquement à deux types de correspondance :

  • entre les valeurs de l’individu et de son organisation
  • entre les valeurs de l’individu et de son équipe.

Concernant la correspondance individu-organisation, elle est susceptible d’évoluer grâce au processus de socialisation, qui correspond au processus par lequel un individu acquiert les attitudes, comportements et connaissances nécessaires pour participer en tant que membre de l’organisation (Cable & Persons, 2001). Comme l’indique cette définition, c’est un processus assez individuel, qui ne porte ses fruits qu’au bout d’environ deux ans (DeCooman & al., 2009). Pas facile d’agir vite sur cette correspondance certes, mais si le salarié reste dans l’entreprise un certain temps car il aime son job, ses collègues, qu’il évolue, ou pour toute autre raison..., il y a des chances pour que le processus de socialisation opère, et que ses valeurs finissent par s’accorder avec celles de l’entreprise 👌

Concernant la correspondance individu-équipe, soulignons qu’elle n’est pas souvent prise en compte (Kristof-Brown & al., 2005) et encore moins clarifiée. Or, c’est un levier très puissant. Il convient tout d’abord, de clarifier les valeurs de chacune des personnes de l’équipe à l’aide d’un questionnaire (Krumm & al. 2013 ; Borg & al. 2019), ce qui permettra d’établir un état des lieux des différentes valeurs individuelles que les membres de l’équipe sont susceptibles de valoriser. Ensuite, sur la base de la mise en commun de ces valeurs, on aboutit à une représentation des valeurs individuelles importantes pour l’équipe. Une correspondance individu-équipe est alors possible, et bien plus saillante si les valeurs partagées par tous les membres de l’équipe sont explicitées, c’est à dire que chacun des membres de l’équipe, donne les raisons de l’importance de ces valeurs pour eux (Berghoff & al., 2018 ; Maio & al., 2001).

Une fois cette correspondance clairement établie, le plus dur est fait (😅) l’engagement à l’équipe suivra, et viendra ensuite booster les facteurs vus dans notre article expliquant l'impact des valeurs d'entreprise sur l'engagement des salariés (performance, satisfaction…). En évaluant les valeurs d’une équipe pour en faire ressortir les plus importantes, on ne force pas l’individu à adopter des valeurs mais on s’appuie sur ses valeurs pour créer un système cohérent et qui lui correspond.

En conclusion, même si les valeurs de l’entreprise n’ont pas été clairement définies à la base, tout n’est pas perdu ! D’abord, définissez vos valeurs le plus vite possible, pour pouvoir recruter vos futurs coéquipiers sur cette base. Ensuite, ne contraignez pas votre équipe actuelle, soyez à son écoute, pour faire en sorte que les valeurs de chaque salarié soient prises en compte et valorisées, grâce à un partage clair des valeurs individuelles importantes, ou encore, grâce au temps, qui fait bien les choses… 🙂

A terme, cela améliorera l’engagement et la performance des membres de votre équipe 👌


*Afin d’approfondir ce constat et mieux comprendre la suite de cet article, nous vous conseillons de lire en premier lieu “L’importance des valeurs d'entreprise sur l'engagement des salariés

**Une étude longitudinale mesure l’évolution de différentes variables chez des participants, en les mesurant à plusieurs reprises au fil du temps. Ici, les scientifiques mesurent donc les valeurs de leurs participants à T0, puis les re-mesurent après une ou plusieurs années.

***Une méta-analyse est une revue exhaustive de la littérature scientifique sur un sujet donné, autrement dit, il s’agit d’une étude d’études scientifiques, qui a pour but de réaliser un état des lieux en combinant l’ensemble des informations disponibles sur le sujet.

Pour aller plus loin

Berghoff, R.C., Forsyth, J.P., Ritzert, T.R., Eifert, G.H., Anderson, D.A. (2018). Evaluation of the contribution of values clarification to a brief mindfulness meditation intervention for anxiety. Journal of Clinical Psychology, 74(9), 1387-1402.

Borg, I., Hertel, G., Krumm, S., & Bilsky, W. (2019). Work values and facet theory: From inter-correlations to individuals. International Studies of Management and Organizations, 49(3), 283-302.

Cable, D. M., & Parsons, C. K. (2001). Socialization tactics and person–organization fit. Personnel Psychology, 54(1), 1–23.

De Cooman, R., De Gieter, S., Pepermans, R., Hermans, S., Du Bois, C., Caers, R., & Jegers, M. (2009). Person-organization fit: Testing socialization and attraction-selection-attrition hypotheses. Journal of Vocational Behavior, 74(1), 102–107.

Festinger, L., Riecken, H. W., & Schachter, S. (1956). When prophecy fails. Minneapolis: University of Minnesota Press.

Jin, J., & Rounds, J. (2012). Stability and change in work values: A meta-analysis of longitudinal studies. Journal of Vocational Behavior, 80(2), 326‐339.

Kristof-Brown, A. L., Zimmerman, R. D. & Johnson, E. C. (2005). "Consequences of Individual's Fit at Work: A Meta-Analysis of Person-Job, Person-Organization, Person-Group and Person-Supervisor Fit. Personnel Psychology, 58(2), 281-342.

Krumm, S., Grube, A., & Hertel, G. (2013). No time for compromises: Age as a moderator of the relation between needs–supply fit and job satisfaction. European Journal of Work and Organizational Psychology, 22(5), 547‐562.

Maio, G. R., Olson, J. M., Allen, L., & Bernard, M. M. (2001). Addressing discrepancies between values and behavior: The motivating effect of reasons. Journal of Experimental Social Psychology, 37, 104–117.

Morend, F. (2018). L’impact des valeurs de travail intrinsèques et extrinsèques sur la satisfaction de vie, professionnelle et de carrière : une étude longitudinale (mémoire de maîtrise). Institut de Psychologie, Lausanne.

Schwartz, S. H., & W. Bilsky. 1987. “Toward a Psychological Structure of Human Values.” Journal of Personality and Social Psychology, 53(3), 550-62.

Schwartz, S. H. (1992). Universals in the Content and Structure of Values: Theoretical Advances and Empirical Tests in 20 Countries. Advances in Experimental Social Psychology, 25, 1-65.